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mardi 7 février 2012

Mémoires d'un paysan Bas-breton

"Je vais commencer aujourd'hui un travail que je ne sais comment ni quand il se terminera, si toutefois il se termine jamais.  Je vais toujours l'essayer.  Je sais qu'à ma mort, il n'y aura personne, ni parent, ni ami, qui viendra verser quelques larmes sur ma tombe ou dire quelques paroles d'adieux à mon pauvre cadavre.  J'ai songé que, si mes écrits venaient à tomber entre les mains de quelques étrangers, ceux-ci pourraient provoquer en ma faveur un peu de cette sympathie que j'ai en vain cherchée, durant ma vie, parmi mes parents ou amis.  J'ai lu dans ces derniers temps beaucoup de vies, de mémoires, de confessions de gens de cour, d'hommes politiques, de grands littérateurs, d'hommes qui ont joué en ce monde des rôles importants; mais, jamais ailleurs que dans les romans, je n'ai lu de mémoires ou de confessions de pauvres artisans, d'ouvriers, d'hommes de peine, comme on les appelle assez justement, car c'est eux, en effet, qui supportent les plus lourds fardeaux et endurent les plus cruelles misères.  Je sais que les artisans et hommes de peine sont dans l'impossibilité d'écrire leur vie, n'ayant ni l'instruction ni le temps nécessaire.  Quoique appartenant à cette classe, au sein de laquelle j'ai passé toute ma vie, je vais essayer d'écrire, sinon avec talent, du moins avec sincérité et franchise - puisque je suis rendu à un loisir forcé - comment j'ai vécu, pensé et réfléchi dans ce millieur misérable, comment j'y ai engagé et soutenu la terrible lutte pour l'existence."
 Je ne résiste pas à vous offrir cet autre extrait (p.259)

"L'hôpital était militaire et civil, dirigé comme tous les hôpitaux de France d'alors, par des bonnes soeurs : on a beaucoup parlé de ces femmes infirmières, à différents points de vue.  Les uns les trouvent excellentes, les autres très mauvaises.  Je me trouvai trois ou quatre fois pendant ma carrière militaire entre leurs mais, et j'assure que je n'ai pas eu à me plaindre d'elles, au contraire.  J'aimais mieux voir une de ces filles à mon chevet que de voir un médecin arrogant et brutal.  A Aix, il y en avait deux pour soigner les militaires, une âgée et une jeune, qui étaient deux charmantes filles avec lesquelles il y avait moyen de s'entendre, même de rire et de plaisanter en s'y prenant doucement et poliment.  Elles portaient, il est vrai, des croix et des chapelets, mais comme les autres femmes portent des boucles d'oreilles et des bracelets.  elles bredouillaient des prières matin et soir, mais comme les autres filles fredonnant des chansons d'amour.  Elles s'intéressaient particulièrement à moi, quand je leur avais dit que j'étais libre penseur athée.  Elles n'en avaient jamais vu.  Elles en avaient entendu parler et elles croyaient qu'un athée devait être un monstre effroyable.  Mais lorsqu'elles virent que cet athée était un petit bonhomme humble, timide, poli, affable, aimable sans affectation ni hypocrisie, elle s'intéressèrent de plus en plus à ma curieuse personne.  D'autant plus que j'étais un Breton de la catholique Bretagne.  Je trouvais aussi plaisir à causer avec elles car je voyais qu'elles n'avaient pas perdu complètement leur personnalité humaine, ce qui arrive ordinairement à tous les cléricofards (1) qui entrent dans le sein de l'Eglise, attendu que les chefs de cette Eglise leur disent de tout rapporter, tout consacrer à Dieu, rien, absolument rien à l'humanité.  Ces deux filles d'abord étaient belles.  Or la beauté physique fait aussi la beauté morale.
 Il y avait beaucoup de soldats dans cet hôpital, il y avait une demi-douzaine de sous-officiers, sergents, fourriers, sergents-majors.  Trois ou quatre de ceux-là sont passés officiers plus tard, ce qui me permit de constater une fois de plus avec quel mauvais bois on fabrique les grands chefs militaires.  Il n'était pas possible de trouver de plus bêtes, de plus ignorants, de plus crétins que ces sous-offs qui étaient là, tous élèves aux mêmes écoles du reste, chez les "fratres ignaries jesuitorum (2) qui ont pour mission non d'instruire les enfants pour en faire des hommes et des citoyens, mais pour en faire des esclaves et des crétins.  Ces futurs officiers m'agaçaient tellement avec leurs discussions et leurs disputes d'une stupidité inouïes que pour tuer le temps, pour me distraire et distraire les camarades de la salle qui m'avaient invité, je m'étais mis à narrer des contes, d'abord de ces contes bretons dont j'ai rapporté les types dans le commencement de cette histoire."
 (1) Cléricofard : (cléricafard) terme populaire combinant clérical et cafard.
(2) Frates ignares jesuitorum : frères jésuites ignorants
 J'ai reçu ce livre de Mister B. il y a quelques années.  Il est passionnant comme un roman, magique aussi par la description d'une société traditionnelle.  La vie des hommes de rien, d'une époque, alors déjà, en voie de disparition.  Un récit humain.

Tu auras deviné que je le relis avec autant de plaisir que je n'en ai eu à la première lecture :)

15 commentaires:

  1. Oh, mais Madame a de très bonnes lectures !

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  2. Non, non pas du tout, figure-toi que je suis sérieuse là ! J'ai adoré ce bouquin qui de plus m'est assez cher parce que c'est un ami qui a découvert ce texte et fait le travail de mise au net, et que c'est mon ex qui l'a édité, son plus joli coup éditorial, héhé !
    Bon sérieux, je le trouve passionnant, faudra que je m'y replonge, dans ce pavé.

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    1. Alors merci à ton ami et à ton ex de m'avoir permis de lire ce petit bijou :)

      Bon pavé, pavé, c'est vite dit ! il ne fait que 472 pages ;)

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    2. Oh, mais Madame a de très bonnes relations !

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  3. "Oh ! je me reconnaissais bien un tort, tort que tant de malheureux commettent inconsciemment. Je savais bien que j'avais commis une faute grave d'amener des créatures en ce monde, avant de m'être assuré s'il y aurait eu de la place pour elles, et avant d'être certain de pouvoir leur fournir de quoi y subsister. C'est là le seul tort que j'ai à me reprocher." Page 396

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    1. Nous ne devons pas avoir la même édition du bouquin, je ne retrouve pas cet extrait à la page indiquée.

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    2. Purée une édition An Here que j'avais payé 120 Francs c'était en 2000 C'est ben loin tout ça ma p'tite dame
      Bien c'est dans le chapitre 4 : Le persécuté Paragraphe : "Enlever mes enfants"
      Je te le cite car à l'époque j'avais eu un gros débat à ce sujet
      Bises Ton lapinou masqué

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    3. page 414 dans mon édition ;)

      Racontes-moi ce fameux débat ! Et non, n'imagine pas le pire, je parle de débat, pas de guerre là ! rires

      Heureuse de te lire Gentil Dauphin, tes silences sont pesants, tu sais ?

      Bises

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    4. Mes silences sont pesants mais mes rares interventions sont lourdes...je mets toujours les pieds dans le plat alors je préfère rester dans mon terrier.
      Grosses bises à toi

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    5. Vi ben moi, lourdes ou pas, j'en ai besoin de tes interventions ! Han ce mec !

      Tu es mon ami de coeur, non ? Si ?

      Alors tu sors de ton terrier plus souvent que toutes les lunes et tu viens me faire sourire, Gentil Dauphin, ceci n'est pas un ordre, mais presque ;)

      Da Garan

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  4. Je m'en vais offrir ça à mon paternel bas-breton, ça va lui causer direct !

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    1. Pour lui causer, sûr que ça va lui causer ;)

      Heureuse de te lire ici, Chou :)

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  5. Je suis en train de lire " le cheval d'orgueil " , mémoires d'un Breton du pays Bigouden... Un livre plein d'une belle humanité... J'ai bien envie de lire celui que tu proposes...Miette

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    1. Tu ne regretteras pas Miette, je peux te l'assurer :)

      Je n'ai pas encore lu le "cheval d'orgueil", vais réparer ça dans pas longtemps...

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