Allongée dans le noir, elle écoute les bruits diffus qui lui
parviennent des autres cellules, des sanglots à peine étouffés, les
ronflements bruyant du soulard qu’ils ont amené tout à l’heure et qui
épuisé d’avoir chanté ses chansons paillardes, s’est écroulé dans un
grand bruit sourd.
Elle essaye de ne pas penser, ni au temps, ni à demain… no futur !
oublier qu’elle est seule au monde, nier l’injustice qui fait qu’elle ne
peut demander aucune aide, aucun secours. Elle est mineure, une mineure
n’a aucun droit! Un criminel, un assassin peut demander la présence de
son avocat, pour une mineure, les droits de l’homme, c’est du nougat…
bulshit, peanuts et cacahouètes.
Pourtant meutrière elle l’est dans un sens, mais nul ne le sait… et
son esprit bat la campagne, le mur qu’elle a construit autour des ses
souvenirs s’éffrite, la volonté se dilue, le passé afflue puis reflue,
éternelle marée, incontrôlable, incontrolée…
Elle revoit le terrain vague, espace sauvage, plein d’herbes folles
et de buissons. Elle revoit le cerisier en fleur, elle revoit son
amoureux de l’époque, ce garçon qu’elle surnommait Cow-Boy et avec qui
elle se sentait bien, l’émoi de leurs premières caresses, malhabiles.
Elle s’est offerte, par tendresse, pas de plaisir, juste l’envie du
désir, le besoin de faire plaisir. Offrir son corps pour recevoir un peu
d’attention, se donner pour recevoir un peu d’amitié….
C’était il y a un an, c’était hier, elle avait 16 ans… en ce temps là, elle faisait encore partie des vivants…
Les rendez-vous sous le cerisier se sont succédés, l’arbre n’était
plus en fleur, mais portait l’ébauche de fruits, et ce sentiment de
plénitude, incompréhensible, qui grandissait en elle aussi…. Elle se
souvient de ses premières nausées… de ses malaises, de ses envies et du
bonheur ressenti à voir se confirmer ses doutes et ses angoisses. Elle
n’était plus seule, elle était deux ! et de sentir grandir ce nouvel
être au creux de son ventre….
Vinrent les soupçons dans le regard de sa mère, pas de questions,
juste des allusions… et quelques bribes d’une discution entre femmes, sa mère et sa
grand-mère, conversation dont elle ne comprenait pas le sens à
l’époque….
- si c’est ça, il faut le faire passer…
- oui, mais c’est interdit, comment faire ? une faiseuse d’ange ?
- il y a une recette, des herbes, tu introduis dans le vagin, cela dilate le col et ”ça” se décroche tout seul…
Les souvenirs affluent, elle ne peut les repousser, les larmes coulent et de repartir en enfer….
Une visite chez le gynéco avait confirmé son état, elle était
enceinte de trois mois. Grand conseil de famille, tous parlent, crient ! Elle n’a pas voix au chapitre…
Il faut détruire la preuve de la faute,
il faut éffacer ce batard ! Elle crie, devient hystérique, défend son
enfant à naître, de toutes ses forces, elle n’a que 16 ans, elle est
seule, le “père” n’ose même pas la regarder en face…
Puis ce premier voyage, d’abord aux Pays-Bas. Un médecin
l’ausculte et refuse de l’avorter. Elle n’oubliera jamais les paroles
qu’il dit à son père : Monsieur, je ne peux pas avorter cet enfant, elle
est enceinte de bientôt quatre mois, ce serait un meurtre !
Elle lui saute au cou de bonheur et l’embrasse. Elle remercie le bon
dieu, le petit jésus et sainte marie, elle est béate, heureuse et
l’enfant qu’elle porte dans son ventre semble appaisé lui aussi, il semble s’endormir enfin en confiance.
Après tout est flou. Retour en Belgique, un médecin vient lui faire
des piqûres, des vitamines lui explique-t-il. Elle flotte, nébuleuse,
nauséeuse, le temps passe, mais combien ? une semaine peut-être… elle ne
sait plus, elle ne sait pas… un avion, voyage en angleterre, pas de
volonté, pas de possibilité de réaction.
Puis le réveil, dans une clinique londonnienne…. atroce… une couche
pleine de sang entre les jambes, une douleur qui vrille, un ventre vide…
l’enfant n’est plus, l’enfant est mort… et elle est condamnée à vivre, à
vivre encore…
Au retour, Cow-Boy l’attendait à l’aéroport, il veut l’embrasser, elle le repousse, dégoutée.
Puis la maison, et cette envie de se réfugier dans les bras de
quelqu’un, mais sa mère la regarde hostile, et son père relatant le
voyage dit : – c’était un garçon. j’ai autorisé qu’ils l’utilise pour
leurs expériences.
Elle monte à l’étage, va à la salle de bain… prend une boite de lames
gilette et tous les médicaments ou il y a une tête de mort sur
l’étiquette… puis redescend et sans un mot quitte la maison…
Elle retourne au terrain vague… sous le cerisier. Elle avale toutes
les pilules et méthodiquement s’ouvre les veines….
La douleur ne compte
pas, la souffrance bientôt ne sera plus… et sa dernière pensée avant le
coma est de maudire dieu et l’humanité toute entière, et d’ajouter
Jésus et Marie et tous les saints
Caly 2004
Je ne sais comment te dire, Caly, ton récit me chavire et me révolte. J'ai beau savoir évidemment que l'histoire est (affreusement) ordinaire, que plus d'une, à une époque pas si ancienne que ça, ont connu des horreurs pareilles, la colère est toujours aussi forte. La haine aussi, même si c'est pas joli la haine, dit-on, et je m'en contrefiche. La peur rétrospective aussi, d'avoir pu, par chance et sans doute par hasard, échapper à ça. Bref tu en remues, des choses !
RépondreSupprimerEt par dessus tout de la tendresse pour une petite soeur que j'embrasse très fort.
Merci Plume :)
RépondreSupprimerEt oui, c'est vrai que cette histoire est arrivée à plus d'une, il n'y a pas si longtemps que cela finalement.
Faudrait que les jeunes comprennent que c'est leur intérêt de défendre les acquis. Le droit d'avorter dans la dignité mérite qu'on le défende.
Pourtant j'ai souvent l'impression qu'ils et elles s'en fichent un peu. Jusqu'au jour où...
Bises à toi