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mercredi 4 janvier 2012

Lettre à...

Différentes discutions, ici et ailleurs, prouvent que le secteur de la santé va mal, quoi qu''en disent les ministres de nos gouvernements respectifs.

Je ne sais plus sur quel blog j'ai trouvé cette perle, c'était il y a plusieurs mois, donc désolée de ne pouvoir en citer l'auteur, mais j'ai plaisir à relayer.
Chers Docteurs,
C’est en désespoir de cause que je m’adresse à vous aujourd’hui dans ce courrier que je me permets de vous écrire. Car je suis très malade. Je souffre depuis maintenant plusieurs années d’un mal étrange, incurable, que nul ne sait diagnostiquer ni guérir et qui ne cesse de progresser. Beaucoup d’Eminents se sont pourtant penchés sur mon cas, mais aucune de leur proposition ne s’est avérée être salvatrice.
Cela fait quelques temps maintenant que tout a commencé. Au début, les symptômes étaient insidieux, sournois. Je n’en avais pas tous les jours, seulement deux à trois semaines dans l’année. Puis mon moi profond s’est fractionné, j’ai perdu peu à peu comme des morceaux de moi-même. C’est là que la maladie s’est vraiment déclarée. Mes murs humides se sont couverts de mycoses. Puis un beau jour ils se sont fissurés, sans étiologie évidente retrouvée. Les plâtres que vous m’avez posés avec douceur pour réparer mes fractures se sont aussitôt effrités. On me disait que je vieillissais, comme tout le monde, et que cela était naturel. Mais moi je voyais bien que je m’abîmais plus vite que tous mes autres camarades de promotion. A cet instant là, aux débuts balbutiants de la maladie, j’ai même eu l’espoir d’être inclus dans une étude en intention de traiter. La mairie et la poste étaient éligibles, eux ; quant à moi j’ai malheureusement été écarté.
Très vite je suis entré dans une profonde dépression. Je me sentais triste, et seul, abandonné de tous, oui, même de vous. Et il faut dire que beaucoup d’entre vous, souvent les meilleurs, m’ont quitté pour aller vers des cieux plus cléments, notamment les établissements privés.
Dès lors,la plupart de mes enseignants sont vite devenus irrécupérables. Ce sont aujourd’hui de vieux gâteux incontinents. Ils ne sont plus à jour. Ils radotent depuis des années les mêmes fadaises à tous mes nouveaux étudiants. J’en arrive à un tel point que parfois (à vrai dire souvent) je me demande si je ne débute pas tout doucement une démence sénile…
Puis les restrictions budgétaires m’ont essoufflé. J’ai fait deux ou trois épisodes d’OAP flash dans les années 2000, je ne sais plus bien quand. Et enfin est venue ma grande embolie pulmonaire, qui m’a laissé pour seul souvenir le coeur pulmonaire chronique séquellaire que je traîne aujourd’hui. Je suis à bout de souffle, et mon asthénie est désormais chronique, elle est ma compagne de tous les jours.
Et voilà qu’aujourd’hui, j’observe que l’on se met à déshabiller Paul pour habiller Jean. On me ferme en effet bon nombre de mes services, que je juge pourtant formellement indispensables à la bonne prise en charge de mes patients, pour permettre à d’autres de mieux tourner à moindres frais.
Depuis plus de 5 ans je suis en aplasie médullaire. Mes petits globules blancs, vénérables infirmières et internes, seuls combattants survivants de la maladie qui m’envahie peu à peu, sont à un point d’épuisement professionnel inimaginable.
Par ailleurs, j’observe depuis peu une aggravation de ma condition sous la forme de nouveaux symptômes comportementaux inattendus et inconnus. Il semblerait presque que je sois devenu vénal, sectaire. Je suis désormais dans l’incapacité de laisser entrer un patient se faire soigner avant de lui avoir demandé sa carte vitale et un ou deux chéquiers. Docteurs, je ne me reconnais plus. Mon comportement n’a jamais été tel auparavant. J’en viens presque à me demander si je n’aurais pas une tumeur cérébrale qui expliquerait tous mes symptômes? Tout cela m’inquiète au plus haut point.
Bien sûr, les administratifs et les politiques ont tenté un traitement lors de l’instauration de la tarification à l’acte, mais je vais plus mal encore. Et si je n’étais pas aussi bien élevé… Ah ça me démange de vous dire ce que je pense de leur traitement, oui, ça me démange et pas qu’un peu. A vrai dire, il se trouve que j’y ai même faire un urticaire allergique réactionnel géant. Un cas d’école ce choc anaphylactique, comme dans les livres de cours. Avec un magnifique oedème de Quincke. Ce jour-là mes soignants ont bien cru que tout était fini. Les 4 mg d’adrénaline que vous avez, pétris de bon sens, tenté de m’injecté, m’ont hélas réanimé à grande peine.
Je m’adresse à vous en tout dernier recours, car je sens que mon coeur s’affaiblit. Ci joint mes constantes habituelles de ce jour (Tension artérielle 6/2, fréquence cardiaque 140). Mon dernier bilan est alarmant. Ma fonction hépatique s’est considérablement aggravée et ma créatinine atteint des sommets. Autour de moi tous commencent timidement à évoquer la possibilité d’une défaillance multiviscérale. Ils pensent que je ne les entends pas du fond de ma chambre. Mais je vous ai assez longtemps tous côtoyés pour savoir que je suis mourant.
Je sais comment tout cela va se passer. Dans un futur très proche mon coeur, épuisé, se mettra en fibrillation ventriculaire, puis s’enfoncera dans une asystolie irrécupérable. Je sais ce qu’ils disent de moi pendant leurs staffs et leurs réunions pluridisciplinaires. Que je suis obsolète, que mon temps est fini, qu’il faut se faire une raison et me passer en soins palliatifs. Je ne veux pas mourir, j’ai des gens qui comptent pour moi sur qui je dois encore veiller. Tant de patients dans mes murs. Pourtant je le sens que je me meure, que je m’éteins.
J’espère que l’anamnèse de ma pathologie et l’énoncé de ma symptomatologie vous évoqueront un diagnostic. Que cette modeste lettre vous permettra de mettre le doigt sur cette probable maladie systémique dont je souffre depuis maintenant tant d’années et sur laquelle persiste depuis toujours ce grand point d’interrogation. Et que l’on trouve ensuite un traitement qui me sauvera avant qu’il ne soit trop tard. Vous êtes bel et bien, chers Docteurs, mon dernier, unique et ultime espoir de salut.
Bien confraternellement,
L’Hôpital Public français.

2 commentaires:

  1. Nous sommes partagés Loup et moi à la lecture de cette lettre. Moi je la trouve parfaite, elle renvoie aux médecins leur responsabilité, le ton est ironique, l'hôpital prend la place du malade, naïf, gardant espoir malgré tout, tendant la main vers celui-même qui l'a détruit.
    Loup n'est pas tout à fait d'accord, il pense que l'hôpital n'accuse pas, qu'il demande de l'aide sans réellement porter d'accusation franche.
    Quoi qu'il en soit, c'est un beau moment de réflexion et d'humour aussi.

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  2. Je crois que vous avez raison tous les deux...

    En fait le gros problème vient de la confrontation entre deux façons de voir la médecine.

    Ils y a les "anciens" qui prônent l'humain, le social, le suivi des patients et de l'autre coté, il y a tous ces médecins, élevés au bon grain de la pensée unique et du profit à tout prix. Faire de l'hôpital public une "affaire rentable" est une abomination.

    Puis il y a aussi tous ces "spécialistes" qui, tels mon Onco, sont incapables de prendre la tension d'un patient, tellement ils sont devenu hyper techniciens dans leur spécialité, qu'ils ne sont presque plus "médecins".

    Le problème est complexe, mais je suis persuadée que cette nouvelle façon de concevoir le rôle de l'hôpital (telle que le prône le nain) va droit dans le mur. L'ennui c'est que ce sont les patients qui vont dans le mur.

    Alors oui les hôpitaux demandent de l'aide, il faut (à mon avis) leur donner cette aide, cela fait partie de la solidarité, mais il faut, en contrepartie, que TOUS ceux qui en ont besoin puissent s'y faire soigner, et correctement encore !

    Mais comme tu dis : vaste sujet de réflexion :)

    ps : Loup ne commente jamais sur les blogs ? je ne l'ai jamais vu écrire sur le tien...

    bises à tous les deux

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