Rechercher dans ce blog

vendredi 27 janvier 2012

L'océan, les bêtes et l'homme

"Trente-six heures de suite par traict (*) de trois à quatre heures le bateau à dragué sans avarie, et à chaque relevée de la poche un rictus de déception marquait les visages.
- Encore des maquereaux !
Sur le pont couleur de sang les magnifiques poissons s'effondraient en masses vertes striées de noir et d'éclairs bleus.  Elles glissaient en s'étalant et le soleil d'orage jetait sa lumière sur les formes nerveuses tordues en arc pour mourir.
Quand on alluma les feux de position, puis les projecteurs de travail, il y eut espoir de changement car tout le monde sait que les troupes de poissons actifs modifient leur attitude avec l'heure.  La nuit, certains animaux remontent vers la surface...  Il n'en fut rien.  Le poisson bleu continua de se faire ramasser.
- Des maquereaux !
Le dépit faisait sortir de son calme le T.S.F. qui avant attaqué le port, et recevait les nouvelles de la dernière criée.  Chaque bateau qui venait de vendre avait littéralement perdu sa marée parce que trop d'apport d'une même espèce de poisson font tomber les cours.
- Quand c'est trop bon marché les femmes n'en veulent pas ! lança une voix qui sortait de la machine.
C'était celle de Jean Fouler, chef mécanicien, le Chef, et vers lui le visage las du patron se retourna en approuvant.  Puis le T.S.F recommença de manipuler.
Dehors, très haut, la nuit devenait bleue, dominant un horizon encore lourd d'orage, et de petits feux se balançaient au loin.  Ils révélaient des collègues, mais aucun de ceux-ci n'était "en code" avec nous, et le T.S.F. en appelait d'autres...  Brusquement le crépitement cessa, et le visage au regard encore lointain se tourna vers nous.
- Thalie est dans le poisson, dit-il.  Elle travaille bien.  Juste sur le 117 du banc Melville.
Je regardai le groupe formé par le captain, le chef et le radio.  Vivement, sur une bonne barque avec ces trois types de formation technique, et si l'on y ajoute le bosco, maître d'équipage, on peut aller travailler partout sur terre !
Ce soir-là, il n'y eut guère de mots à prononcer parce que ces hommes s'étaient compris; et méthodiquement cinq tonne de poissons frais irréprochables de qualité, cinq mille kilos de chair animale qui avaient exigé beaucoup de travail pour être pêchés, lavés, glacés, toute cette valeur sauvage, complétée par la valeur de l'effort humain, fut rejetée à la mer.  
Cela parce que le prix des maquereaux n'aurait même pas remboursé les frais de débarquement et de vente...
Alors, puisque nous avions encore du carburant et de la glace, mieux valait tenter la chance, méthodiquement, c'est-à-dire faire cap sur une zone momentanément meilleure pour nous par rapport aux exigences des gens de la terre..."



Ce troisième livre d' Anita Conti démontre clairement les extravagances de notre société de consommation. 

Née en 1899, cette femme indépendante, première océanographe française, seule femme à avoir accompagné les terre-neuvas, relate aussi un demi-siècle d'aventure et de recherches maritimes.

Dois-je dire que je l'ai lu d'une traite et que je le relis encore ?  sourires.  Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce petit bijou d'observations, de récits, d'aventures aussi se déroulants dans un monde de marins, que personnellement je connaissais très mal...


:)

4 commentaires:

  1. J'emprunterai ce livre à la bibliothèque.

    Mais un attendant juste une anecdote : hier soir j'avais un dîner un peu spécial, un pot de départ. Au jeune retraité on a offert un appareil photo. Et il m'a dit : il y a un objectif maquereau. (Prononcé tel quel, véridique.)
    Mignon non ? ;)

    Hâte de voir ses photos ! ;)

    RépondreSupprimer
  2. oh oui ! suggère lui d'ouvrir un blog que je puisse les voir aussi :)

    ... parce que si ses photos ont le même accent que lui, (vi à te lire ça me fait penser à l'accent du sud) ça risque d'être... spécial :)

    Au fait, Pastelle, je ne commente jamais chez toi, parce que quand j'arrive il y a déjà des tonnes de commentaires, et que moi ça me coupe les effets, enfin je ne sais plus quoi dire... M'en veut pas hein ! :)

    RépondreSupprimer
  3. Anita Conti a laissé un très grand souvenir chez nous à Douarnenez. Elle y est décédée, à 98 ans ! Je n'ai pas lu ses livres mais vu "les racleurs d'océans" et une superbe expo de photos. Quelle femme !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, Plume, d'après la biographie que j'ai pu lire à son sujet, c'était un sacré bout de bonne femme ! Emancipée comme peu le sont (malheureusement) même à notre époque!

      Quant à ses livres, je n'ai lu que celui là, pour l'instant. Il m'avait été conseillé par la libraire qui tiens boutique sur le site de l'Eléphant sur l'île de Nantes. Je n'ai jamais été déçue par les conseils de la dame, elle a bon goût :)

      Supprimer